Juliette Agnel est unique dans le paysage photographique français. C’est dans une approche philosophe globale que cette artiste s’est mise en quête de la compréhension du monde. Cette exploration la mène du ciel, inspirée par le rapport au cosmos et les forces telluriques, à la terre dans sa relation à la géobiologie et l’expérience mystique des portes de la nature et aujourd’hui sous terre, avec l’exploration de grottes préhistoriques. Elle photographie donc ce qui est invisible, et tente par son travail de transmettre ce qui est de l’ordre du ressenti et de l’intériorité. Il n’y a pas de vérité photographique dans les images de Juliette Agnel. Le calme qui en ressort en est l’exemple le plus concret, elles sont une machine à traverser le temps, qui portent aussi l’empreinte d’une évidence écologique.
Au cours d’un périple dans le Grand Nord, Juliette Agnel s’est trouvée confrontée à la présence colossale et irréelle des Icebergs du Groenland. La vision qu’elle en restitue dans ses tirages tout aussi monumentaux, évoque des murailles jaillies de la mer qui semblent défendre et dissimuler une cité inconnue, un royaume secret dont l’origine se situe dans les lectures d’enfance de l’auteur. Seules quelques failles dans la muraille paraissent donner accès à ce monde mystérieux. Des portes que Juliette Agnel se garde bien de franchir. Pour passer d’un monde à l’autre, elle ne nous convie pas à défier héroïquement le seuil de l’inconnu, C’est dans l’immobilité de la contemplation que s’opère le passage : par la plongée du paysage dans la nuit, par l’inversion positif/négatif et les ruptures logiques qu’elle provoque. Et cette mutation est réversible puisque nous pouvons à loisir passer du positif au négatif et inversement. Devant nos yeux s’opère une transmutation de la matière : la glace devient roche, la caverne devient source lumineuse, la mer et le ciel fusionnent en un même élément. L’accès à cet autre monde se fait à ce prix : renoncer à la certitude de ce que nous voyons, à celle de la nature unique de chaque chose. A cette précarité s’en superpose une autre, nouvelle et qui hante nos consciences : celle d’un monde naturel désormais fragilisé. Nous savons que ces murailles de glace orgueilleuses risquent de disparaitre sous l’effet du réchauffement climatique. La cité mystérieuse qui nous fait rêver est peut-être vouée à la liquéfaction. Dès lors, nous voici amenés à porter sur ces colosses un autre regard, à instaurer avec eux une autre relation, avant que les portes de glace ne soient plus qu’une fiction qui, cette fois, ne sera plus réversible.
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